7 février 2024

70 ans de l’appel de l’abbé Pierre : allocution de Pierre Tamisier, président Emmaüs 73, lors de la commémoration du 3 février place de l’hôtel de ville à Chambéry.

Par La Plume Solidaire

Mes amis !
Permettez-moi de m’adresser à vous, avec ces mots de l’abbé Pierre : mes amis.
Ce sont les premiers mots de son appel au secours, le 1er février 1954 : « Mes amis, au
secours ! Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à 3 heures, sur le trottoir du
boulevard Sébastopol, serrant contre elle le papier par lequel, avant-hier, on l’avait
expulsée… ».
S’en est suivi, vous le savez, un immense élan de solidarité, le réveil historique de milliers
de personnes qui se sont mobilisées pour apporter des couvertures, des vêtements
chauds, des soutiens financiers. On a parlé alors d’une insurrection de la bonté.
70 ans plus tard, nous voici rassemblés ici, à Chambéry, sur cette place de l’Hôtel de Ville,
non pour célébrer un anniversaire, mais pour commémorer cet événement, c’est-à-dire
nous en souvenir ensemble, et nous le rappeler.
Nous le rappeler parce que, aujourd’hui, 70 ans plus tard, on peut encore mourir de froid
en France : il y a moins d’un mois, le 9 janvier, deux personnes ont été retrouvées mortes
de froid, l’une blottie sous une couverture, à Carpentras, l’autre, qui s’était réfugiée dans
une cave, à Boulogne-Billancourt.
Savez-vous combien de personnes sont actuellement sans domicile en France ?
330 000, beaucoup plus qu’à l’époque de l’abbé Pierre.
Savez-vous combien il y a de lits disponibles en hébergement d’urgence ? 200 000.
Chaque nuit, des milliers de personnes sont obligées de dormir dans la rue parce que les
structures sociales, les centres d’accueil, le 115, les associations, tout est saturé.
Et Chambéry, malgré tous les efforts déployés, Chambéry n’échappe pas à ce drame : il y
a quelques semaines des tentes ont dû être dressées devant la maison des associations.
Vous les avez peut-être vues. Je vous laisse imaginer ce que peuvent être des nuits
d’hiver sous une tente.
Non, mes amis, le combat contre la misère n’est pas achevé !
Ce combat est un combat pour la justice.
Parce que ce n’est pas juste que des hommes et des femmes, et même des enfants,
soient encore obligés de dormir dans la rue, en 2024, 70 ans après l’appel de l’abbé
Pierre.
Ce n’est pas juste que notre pays, dont la devise est « Liberté, Égalité, Fraternité », ne soit
pas capable de prendre les mesures nécessaires,
– pour assurer le minimum vital à chacun,
– pour que cessent les inégalités au regard de l’accès aux droits,
– pour que cessent les restrictions de circulation contraires à nos engagements
internationaux,
– et que cesse tout ce qui contribue à nous monter les uns contre les autres, à
renforcer la peur et la méfiance, à élever des barrières là où il faudrait construire
des ponts ! Tout le contraire de la Liberté, de l’Égalité et de la Fraternité.
Que faisons-nous de notre devise républicaine ?
Que faisons-nous de notre signature de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme
pourtant inspirée par notre pays et dont je vous invite à relire l’article 13 ?
Alors bien sûr, ça serait moins dérangeant s’il n’y avait pas de pauvres.
Ça serait plus facile s’il n’y avait pas d’exilés.
Ça serait tellement plus simple s’il n’y avait pas de guerres, pas de personnes déplacées,
pas de dérèglement climatique, pas de maladies, pas de faiblesses humaines.
Pas d’autres ! Pas d’autres, que des gens « comme nous » ? Mais comme qui ?
Ce serait terrible de nous laisser, sans presque nous en rendre compte, hypnotiser par la
routine de nos petites vies, à moitié endormis et comme anesthésiés de la conscience et
du cœur.
Alors il est temps de nous réveiller.
Nous voulons que les choses changent ? Hé bien, il faut nous en occuper, tous. Quelle
que soit la façon dont, chacun, nous estimons juste de le faire.
Et pour ne pas prédéfinir des modalités d’action, j’ai quelque chose à vous proposer :
chaque matin, au moment où mentalement nous passons en revue ce qui est à faire dans
la journée, posons-nous cette question : qu’est-ce que moi, comme je suis, là où je suis, je
peux faire aujourd’hui pour mettre dans tout cela, un peu plus de fraternité, un peu plus de
justice, tout simplement un peu plus d’humanité.
Ne pas subir, toujours agir.
Je vous remercie de votre attention.